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Extrait: Sega, liga!-Sega, liga! Cela signifie: Scier, lier! Scier le froment, lier le froment! Et, dès que l'insecte méridional lance au milieu des pins sa frénétique chanson, les laboureurs prévenus aiguisent leurs longues faux, puis abattent, avec de grands gestes bruissants, les belles nappes jaunes du blé. Sega, liga! Cette après-midi de juillet, les cigales harassées clamaient cela, désespérément, dans la plaine de Salignacq, en faisant vibrer leurs ailes diaphanes et dures comme des lames de cristal. Le ciel était chauffé à blanc; le soleil-un royal soleil de Gascogne-semblait se fondre en tendresse sur les landes plates; et, dans les sables torréfiés, les pins rigides aux flancs meurtris avaient l'air de gigantesques torches de résine, prêtes à prendre feu. Dans cette température de fournaise, un homme allait: le vieux Yan du Bignaou, -Jean Duvignau, comme disent les messieurs qui connaissent le français.-Il allait sur un mulet, sur un mulet maigre escorté par de grosses mouches bourdonnantes, aux dards perçants comme des stylets. -Va, Briquet, va! Et Briquet-c'était l'humble nom de l'animal-poursuivait son petit trot, les yeux méfiants, la queue éperdue, tandis que Yan, son maître, une branche feuillue dans la main, chassait avec paternité, de temps à autre, les taons faméliques acharnés sur sa monture. Yan, -dans le pays, on prononce Yann, -un paysan grand, sec, tout droit. Age: soixante ans. Profession: laboureur. Signe particulier: millionnaire. Au-dessus des joues, deux pommettes bien saillantes et bien roses. Dans le front, deux petits yeux bien clairs et bien francs. Les cheveux rares, la bouche large, le menton pointu. Sur le devant du cou, deux nerfs très raides et très apparents qui tiraillent la tête, l'un à droite, l'autre à gauche; deux nerfs qui semblent, à chaque instant, devoir crever la peau. Sur tout le reste de la figure, cette teinte basanée et noble qui est la teinte de la terre du pays. -Va, Briquet! va! Les vêtements? simples et dignes. Un pantalon de coutil convenablement rapiécé. Une sorte de blouse fanée: la chamarre. A la tête, un béret de laine bleue. Aux pieds, des espadrilles de toile blanche. Enfin, deux larges anneaux d'or aux oreilles. Et sous cette défroque? Un corps rare, doué de muscles célèbres, qui ont fait des prouesses dans le temps. Yan est respecté à dix kilomètres à la ronde. Les commères les plus ignares, les gamins les moins initiés savent que Yan porte sa charrue sur son dos, en revenant du labour, et qu'une fois, l'un de ses boeufs étant tombé malade, il a traîné un char plein de maïs à lui tout seul. Ce qui lui valut alors, dit-on, l'estime d'une fort jolie dame de la ville. Laurent Labaigt, dit Jean Rameau, né à Gaas (Landes) le 19 février 1858 et mort à Cauneille (Landes) le 21 février 1942, est un romancier et poète français, membre des Hydropathes. Présentation Il voit le jour en Chalosse, dans une famille de petits propriétaires paysans au milieu du XIXe siècle. Il apprécie très tôt le magistral orchestre de la nature gasconne et ceux, tels Guillaume du Bartas, Ansèlme ou Jean-Louis de Fromentières, qui en ont chanté avant lui les symphonies en foin majeur . À Bordeaux, puis à Paris, ce fils spirituel de Victor Hugo (tel qu'il s'intitule lui-même) s'exerce à la littérature panthéiste. Il compose ainsi plus de 60 romans et 5 000 contes inspirés le plus souvent par son pays natal et qui, jusque vers les années 1920, obtiennent un réel succès.