About the Book
« Les côtes de la Provence et de la Ligurie génoise sont presque une terre africaine. Elles ressemblent au littoral de Tunis et d'Alger par la hardiesse de leurs promontoires, la forme rythmique de leurs anses dessinées en arcs de cercle, leur végétation semi-tropicale, la splendeur du ciel rayonnant qui les éclaire. On dirait que les flots, en roulant du sud au nord à travers la Méditerranée, ont apporté avec eux, au pied des Alpes, l'image des rochers et des plages qu'ils baignaient sur les côtes de Barbarie. À plus de 700 kilomètres de distance, les pentes des Alpes et des Apennins, inclinées vers le golfe de Gênes et la mer d'Antibes sont beaucoup plus semblables aux versants des hauteurs du Maghreb, qu'elles ne le sont aux contrées situées immédiatement au nord de Nice et séparées seulement par l'épaisseur d'une chaîne de montagnes. Les étroites zones de terres qui longent la Méditerranée au sud des Alpes maritimes et celles qui s'étendent au nord de l'Atlas constituent, avec les côtes méridionales de l'Espagne, une partie du monde distincte où s'opère la transition entre l'Europe et l'Afrique.
L'une des plus belles et la plus célèbre des contrées qui forment cette grande région du littoral méditerranéen s'étend au sud des Alpes, des plages d'Hyères à la concavité du golfe de Gênes. Là l'épanouissement de la grande chaîne de montagnes en plusieurs chaînons distincts, la proximité de cimes atteignant une élévation de 2500 et de 3000 mètres, enfin la diversité des formations géologiques, donnent aux rivages la plus grande variété de contours et d'aspect. À cet élément de beauté s'ajoute le contraste offert par les plantes diverses qui s'étagent sur les flancs des monts, du bord de la mer aux sommets neigeux, et qui reproduisent en miniature toutes les zones européennes de végétation, aussi bien celle du promontoire extrême de la Scandinavie que celle des falaises et des plages baignées par la Méditerranée. Les climats sont superposés, comme les cultures, sur le versant de la chaîne. La grande crête est blanche de neige pendant des mois entiers, de petits glaciers couronnent ses plus hautes cimes, tandis qu'au bord de la mer, dans les vallons abrités des vents froids par l'immense rempart des Alpes ou par ses contreforts, l'hiver dure à peine quelques jours chaque année ou même oublie complètement de faire son apparition. Dans ce charmant pays, exposé au soleil du midi, la température moyenne est plus élevée qu'elle ne l'est bien plus au sud dans toute l'Italie centrale; mais le grand avantage climatérique de ce pays privilégié, c'est que les écarts de température y sont moins considérables que dans toutes les autres contrées de l'Europe. La brise y modère les chaleurs de l'été; le soleil, presque toujours brillant en hiver, y réchauffe les courants d'air froid qui descendent des montagnes en s'engouffrant dans les vallons ou qui soufflent parallèlement au rivage. En hiver, les Romains et les Napolitains doivent se rendre à deux ou trois degrés plus au nord, c'est à dire à Cannes, à Menton ou à Nervi pour trouver une température plus douce que celle de leur pays; en été, les habitants de Paris et de Londres vont souvent chercher la fraîcheur sur les rivages de la Provence et de la Ligurie, à cinq ou huit degrés de latitude plus au sud.
Le doux climat et les paysages magnifiques de la partie du littoral, dont Nice peut être considéré comme le point central, est depuis longtemps apprécié. Pendant leurs luttes séculaires contre les fiers Ligures, si difficiles à vaincre, les Romains purent se rendre compte des avantages du pays, et, quand ils eurent enfin terminé leur conquête, ils couvrirent de villas de plaisance la colline de Cemenelum (Cimiès) au-dessus de Nice et les hauteurs avoisinantes. Plus tard, les patriciens de la puissante Gênes et des autres républiques du littoral ligurien surent aussi comprendre la beauté de leur admirable domaine: il suffit, pour s'en convaincre, de voir les palais et les jardins qui embellissent les sites les plus gracieux aux environs de toutes les villes de la côte. Mais la renommée du beau climat de Nice ne se répandit en France et dans le nord de l'Europe que vers le XVIe siècle, à l'époque de ces affreuses guerres qui poussaient incessamment les armées comme un flot d'hommes d'Italie en Provence et de Provence en Italie. Avant de songer à la Saint-Barthélemy, Catherine de Médicis, qui aimait aussi la nature à sa manière, voulait se faire bâtir à Hyères une "maison royale entourée de jardins." Vers la fin du XVIIIe siècle, Smolett et d'autres Anglais découvraient Nice, pour ainsi dire, de même que leurs compatriotes Pocock et Wyndham avaient révélé au monde des savants et des artistes l'existence du Mont Blanc. En 1831, lord Brougham faisait connaître la ville de Cannes; récemment, des médecins, des artistes ont signalé Menton, désormais célèbre dans les deux mondes; maintenant Sanremo se transforme également en ville d'hiver, et voit s'accroître chaque année le nombre de ses habitants étrangers; puis Alassio, Laigueglia, Sainte-Maxime, Bornes et l'incomparable plage de Cavalaire se peupleront à leur tour. Nul doute que, dans un avenir rapproché, le littoral de la Provence et de la Ligurie n'offre dans tout son développement une succession non interrompue de villas, semblable à cette rue de palais et de jardins qui s'étend déjà de Voltri à Gênes et à Nervi, sur une longueur de 30 kilomètres. L'espèce de fascination qu'exerce la mer, et principalement la Méditerranée, sur tous les habitants de l'intérieur du continent et des contrées du nord, la beauté des points de vue que célèbrent les poètes et que dessinent les artistes, l'action bienfaisante exercée par le climat sur les malades, enfin la toute-puissance de la mode attireront graduellement vers la côte une nombreuse population flottante, et transformeront ses villes en de vastes caravansérails. Bientôt la route de la Corniche, si fréquentée, va être remplacée par un chemin de fer qui deviendra l'une des grandes voies des nations et facilitera la répartition des voyageurs dans tous les endroits propices de l'antique Ligurie, future résidence d'hiver de l'Europe entière.
On sait que le climat général de la Provence proprement dite est souvent désagréable à cause de la sécheresse de l'atmosphère, de l'intensité des chaleurs, du manque d'ombrage, de la redoutable violence du mistral, ce "maître de l'air", et des nuages de poussière qui se développent en longs tourbillons sur les grandes routes. Parmi les villes d'hiver du littoral, Hyères et Nice ne sont pas complètement abritées contre le mistral, et là, pas plus qu'ailleurs, on n'a pris de mesures pour abattre la poussière épaisse qu'y soulève le vent; mais le climat de ces villes est bien distinct de celui de la Provence occidentale. La proximité de la mer et la plus grande abondance des pluies y saturent l'air de vapeur d'eau, les vents y sont moins brusques, les forêts, les vergers, les nombreux jardins rafraîchissent, purifient et parfument l'atmosphère. Bien qu'il soit limitrophe à cet effroyable désert des Basses-Alpes, où l'on ne verra bientôt plus d'habitants, mais seulement des ravins d'érosion, des talus d'éboulement, des vallées de pierres et des montagnes croulantes, le département du Var est le plus riche en forêts de la France entière; les arbres y couvrent plus du tiers de la superficie totale du sol. C'est aussi l'une des régions de la France les plus riches en sources. »
Les villes d'hiver de la Méditerranée et les Alpes maritimes: itinéraire descriptif et historique... Hyères, Cannes, Nice, Monaco, Menton, Sanremo / par Élisée Reclus; contenant 4 cartes... par Hubert-Clerget
Date de l'édition originale: 1864
Sujet de l'ouvrage: Méditerranée, Côte de la (France) -- Guides touristiques et de visiteAlpes-Maritimes (France) -- Guides touristiques et de visite
Collection: Collection des Guides-JoanneAppartient à l'ensemble documentaire: PACA1
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