La faim n’a pas disparu, et surtout elle pourrait s’étendre si l’humanité va bien vers les neuf milliards d’individus au milieu du siècle. Il n’est pas certain que le monde puisse nourrir le monde.
Les experts internationaux qui négocient dans le cadre de l’OMC sont convaincus que la persistance de soutiens publics à l’agriculture dans certains pays est le principal obstacle actuel au développement des plus pauvres. L’idée paraît évidente, ce n’est pas pour autant qu’elle serait vraie. Pour qu’elle le soit, il faudrait que les denrées agricoles puissent être produites et échangées dans des conditions semblables à celles que l’on observe pour les marchandises industrielles. Cela est plus que douteux.
À supposer, en second lieu, que les marchés agricoles puissent être entièrement soumis au mécanisme du libre-échange mondial, celui-ci aurait pour effet (attendu et même espéré) de ruiner les producteurs les moins rentables au profit des plus rentables. Mais peut-on impunément ruiner la moitié des habitants de la terre? Le problème n’est même pas moral, il est concret: que deviennent ces milliards de miséreux? Certains se révoltent ; d’autres émigrent massivement; d’autres encore louent leur force de travail pour des salaires infimes, provoquant la délocalisation de la quasi-totalité des industries du monde, et la ruine des régions où elles étaient installées.
Edgard Pisani, dont on connaît l’action tant en faveur de l’agriculture française et européenne que du développement, a réuni une vingtaine d’experts – agronomes, démographes, hauts fonctionnaires, économistes, banquiers, politiques, paysans – et il leur a posé ces questions. Ils ont confronté leurs analyses en séminaire, oralement et par écrit; sur l’essentiel, leurs visions s’accordent.
La conclusion peut être ainsi tirée par Edgard Pisani: une agriculture moderne à dimension artisanale peut assurer la production des denrées alimentaires nécessaires à neuf milliards d’humains, tout en garantissant la survie économique d’un grand nombre d’agriculteurs dans le monde.