About the Book
VERSET Ier, CHAPITRE II Au fait, pourquoi la petite marquise de Castel-Chambord - Suzette, comme l'appelaient ses amies - était-elle en froid avec son mari, le placide Gaston? Est-ce qu'on sait jamais! Madame avait trouvé très ennuyeuse Monsieur Betsy, la dernière pièce des Variétés; monsieur l'avait trouvée désopilante et avait ri d'un rire absurde pendant tout le deuxième acte. Il n'en fallait pas plus pour que madame insinuât avec aigreur que l'indulgence du monsieur était sans doute motivée par son admiration pour l'artiste - Thérèse Brincard - qui jouait la grande coquette. Gaston, fort de son innocence, s'était rebiffé; -je vous, demande un peu, Thérèse Brincard! - un mot en avait amené un autre; bref, depuis huit jours, huit grands jours, la porte de Suzette était restée fermée au verrou, et je dois ajouter, à l'honneur du sexe fort, que le marquis, de son côté, n'avait fait aucune lâche tentative pour franchir le seuil interdit. Et le soir, dans la grande chambre élégante suggérant l'amour, madame se déshabillait pensive; elle relevait ses bras merveilleux pour dénouer sa noire et touffue chevelure, et après avoir donné dans la psyché un coup d'oeil à son torse, merveilleux de vie, de jeunesse et de perfection, elle s'étendait toute frissonnante dans le grand lit de milieu jadis témoin de tant de caresses folles, dans te grand lit où les nuits avaient été si heureuses et si douces, aujourd'hui désert, froid, abandonné. Non, elle ne céderait pas, non elle ne ferait pas amende honorable! C'est Gaston qui avait eu tous les torts, et, d'ailleurs, eût-il raison, un homme doit toujours se soumettre à une femme! Or, le marquis, de son côté, s'obstinait; la situation était devenue intolérable et était d'autant plus absurde qu'au fond Suzette se l'avouait bien parfois avec un sourire, dans cette querelle puérile, il n'y avait pas de quoi fouetter un pauvre petit chat. Plus désolée qu'elle ne voulait le paraître, elle alla confier ses chagrins au vénérable abbé Maubuée, premier vicaire de Saint-Augustin, directeur spirituel de toutes les âmes féminines du boulevard Malesherbes, abbé mondain, tolérant, très moderne, très fin de siècle, connaissant tous les dessous de la vie et sachant donner au besoin l'avertissement qui arrête ou le conseil qui sauve. D'ailleurs, homme d'un tact parfait, avec une pointe de philosophie sceptique et de tendresse paternelle et attendrie pour cet être tout nerfs, tout sentiment, pour cette nature exquise, mais un peu détraquée, que l'on nomme la Parisienne....
About the Author: Richard de L'Isle de Falcon de Saint-Geniès, dit Richard O'Monroy, né en 1849 à Paris où il est mort en 1916, est un romancier et nouvelliste français. Avec Gyp et Ludovic Halévy, il est l'un des conteurs de la vie parisienne dans le dernier quart du XIXe siècle. Sorti de l'école de Saint-Cyr en 1870, il est capitaine de cavalerie lorsqu'il est acculé à la démission en 1891, ce qui lui permet de se consacrer pleinement à l'écriture. Il contribue à La Vie parisienne et au Gil Blas des saynètes de la vie d'officier, des croquis parisiens, des romans et des nouvelles réunis par la suite en une cinquantaine de volumes. Il est également l'auteur de quelques vaudevilles et comédies en un acte. Son style d'allure vive et sa gaieté sentimentale ont su plaire pendant un temps à un certain public.