La France a soif d'innovation, y compris en politique étrangère, mais le pays est bloqué en ce domaine comme en celui de la politique et de l'économie. Quand la presse française parle du ministère des Affaires étrangères, elle évoque moins les exploits ou les méthodes du Ministère que ses dérives. Il suffit de lire un ouvrage récent qui dévoile les prébendes et autres avantages exorbitants des diplomates au sommet. Le journaliste met à jour les détournements de leurs membres qui n'hésitent pas à faire jouer leur réseau et connivences pour annuler ou prévenir toute sanction (cf. Vincent Jaubert, La face cachée du Quai d'Orsay, édit. Robert Laffont, 2016.) Pour le grand public, l'image n'est guère plus reluisante. Les diplomates apparaissent souvent gourmés, prétentieux et virant facilement à l'affèterie. Son attention parfois sursaute quand un Ministre croit intervenir de façon flamboyante alors que cette action comporte de l'hystérie et du narcissisme lourds à gérer au quotidien. (cf. la bande dessinée et le film Quai d'Orsay.) Pour qui a travaillé à l'intérieur, la surprise est encore plus grande. Dans le service censé réfléchir à moins court terme, les discussions frisent souvent le café du commerce. Les propos sont mieux structurés (ce sont de bons élèves), mais le fond demeure un salmigondis de brèves observations et d'opinions, péchées au petit bonheur la chance, sans que l'on distingue ce qui est de l'ordre du fait et ce qui est de l'idéologie. Il y eut, il est vrai, un progrès lorsqu'un autre Ministre, sachant tout et regardant chacun du haut de ses diplômes, crut bon de demander audit service de lui créer des concepts afin que sa Seigneurie puisse briller à la télévision ou sur la scène internationale. Le monde zéro-polaire fut une de ces géniales trouvailles. De l'éclat, encore de l'éclat autour de ma personne! alors que ces concepts ne sont que des expressions, des bons mots, masquant une indigence de stratégie et de logistique. Qui a dit que la diplomatie devait être discrète ? Les méthodes demeurent de l'à peu près. Le Ministère ignore celles qui sont nouvelles et mises en oeuvre dans d'autres pays. Tous les ministres et les membres de leur Cabinet qui défilent, comme le reste de leur entourage, ne sont pas des Talleyrand pour se permettre de s'en dispenser. (Alexis de Tocqueville fut aussi Ministre des Affaires étrangères. Ah ! le bon temps !) Romain Gary, qui fut un temps diplomate, résume son expérience au Quai d'Orsay en disant qu'il y était entré avec le sourire et sorti en souriant. (La nuit sera calme, Gallimard, 1974). Pour les nouveaux entrants, il faut espérer que le Ministère perde de sa superbe sans fondement. Pour mieux servir le pays et l'Europe, il faut espérer qu'il élargisse ses outils de réflexion à la lumière des nouveautés scientifiques sans risque de mettre en cause l'ingéniosité diplomatique. Il s'agit moins d'une révolution de palais que d'une révolution mentale. C'en serait fini du lustre des bougies, des fauteuils dorés et du confort d'une hôtellerie de luxe qui font rêver ses occupants. La grandeur de la France y gagnerait paradoxalement en prestige !
About the Author: Alain Laraby est présentement consultant et administrateur de société dans le domaine de l'énergie. Pendant près de cinq ans, au sein du Centre d'Analyse, de Prévision et de Stratégie du Quai d'Orsay, il fut en charge notamment des dossiers de justice internationale et transitionnelle. Dans ce cadre, il rédigea des Lignes directrices pour le Ministère des Affaires étrangères sur la justice transitionnelle dans le monde. Comme diplomate, il entreprit diverses missions à l'étranger, en Afrique du Sud, de l'Est et de l'Ouest, en Europe et en Amérique. Avant d'entrer au Quai d'Orsay, il fut avocat à la Cour de Paris et solicitor à Londres (membre de la Law Society). Son domaine d'intervention fut l'anti-trust communautaire dans lequel il fut amené à négocier avec la Commission européenne. Parallèlement, Il fut Expert visitor pour diverses organisations internationales effectuant des missions et formations de hauts fonctionnaires, juristes et hommes d'affaires, en particulier en Europe, en Afrique (RDC, Burkina Faso, Sénégal) et au Moyen-Orient (Liban). Alain Laraby fut également médiateur, accrédité auprès du London Chartered Institute of Arbitrators. Intervenant à Sciences Po (Paris) dans le cadre de la formation continue, il enseigne la négociation, la médiation et le lobbying à la lumière de la théorie des jeux. Il écrit dans diverses revues littéraires, politiques et philosophiques, dont la revue numérique Up' magazine, axée sur l'innovation. En raison de sa culture scientifique, il collabore occasionnellement à diverses institutions (Institut Henri Poincaré) et revues mathématiques (Quadrature, La Jaune et la Rouge de l'Ecole Polytechnique). Trois de ses ouvrages (Le facteur de production invisible, Tartufferie et misanthropie économique, Breveter l'inhumain) ont été publiés par UP' éditions et diffusés par Amazon.