About the Book
Les arbres géants de la forêt équatoriale se tordaient sous la rafale. Le tonnerre grondait furieusement. Les éclats de la foudre, simultanément sonores ou étouffés, brefs ou prolongés, secs ou crépitants, bizarres parfois, terribles toujours, semblaient se confondre en une seule et interminable détonation. Du Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest, s'étalait, à perte de vue, au ras les cimes une immense nuée noirâtre, bordée d'une sinistre bande cuivrée. Des éclairs aveuglants, affectant toutes les formes et toutes les couleurs, mêlés dans une colossale fulguration, s'en échappaient comme d'un cratère renversé. De ces vapeurs trop lourdes qu'un implacable soleil avait fait surgir d'insondables marais et de solitudes inexplorées, roulaient de véritables trombes. Ce que nous nommons en Europe des gouttes de pluie, semblait de larges coulées de métal en fusion, à travers lesquelles se reflétaient étrangement les éclairs. Les feuilles tombaient, hachées comme par un ouragan de grêle, mieux encore, comme par des millions de jets de pompes à vapeur. De temps en temps, un acajou énorme, l'orgueil de la forêt vierge, s'abattait lourdement; une ébène verte, au tronc élevé de plus de quarante mètres, aussi dur que le fer, voltigeait comme une paille; un cèdre séculaire, que quatre hommes n'eussent pu entourer de leurs bras, éclatait, ainsi qu'une planchette de sapin, un simaruba, un boco, ou un angélique, dont les cimes trouaient la nue, roulaient, fracassés les premiers. Ces géants, reliés ensemble par d'inextricables lianes, et dont les maîtresses branches disparaissaient sous des orchidées, des broméliacées ou des aroïdées en pleine floraison, oscillaient, puis s'écroulaient sous la même poussée. Des milliers de pétales rouges coulaient à travers les herbes: on eut dit des gouttes de sang arrachées aux flancs des colosses foudroyés. Les animaux affolés, se taisaient. Seule, mugissait la grande voix de l'ouragan, qui atteignait alors une invraisemblable intensité. Cette formidable symphonie de la nature, qu'on eut dit orchestrée par le génie des tempêtes, et exécutée par un choeur de Titans, remplissait l'immense vallée du Maroni, le grand fleuve de la Guyane française. La nuit s'était faite tout à coup, avec cette rapidité particulière aux zones équatoriales que le soleil éclaire sans aurore, et d'où il disparaît sans crépuscule.
About the Author: Louis-Henri Boussenard, né à Escrennes le 4 octobre 1847 et mort à Orléans le 11 septembre 1910, est un écrivain français, auteur de romans d'aventure. Surnommé de son vivant le Rider Haggard français, il est plus connu aujourd'hui en Europe de l'Est, où quarante volumes de ses oeuvres furent publiés dans la Russie impériale en 1911, que dans les pays francophones Biographie; Après des études de médecine, il se consacre à l'écriture. Le gouvernement lui ayant confié une mission scientifique en Guyane, il voyage beaucoup dans les colonies françaises, surtout en Afrique. Lors de la guerre de 1870, il est vite blessé par les Prussiens, expérience amère capable d'expliquer un incontestable sentiment nationaliste qui se rencontre dans plusieurs de ses romans. Quelques-uns de ses livres portent la marque de préjugés contre les Britanniques, ce qui explique sans doute qu'il ait été peu traduit et soit peu connu dans le monde anglophone. Ses contes et nouvelles paraissent dans de nombreux journaux tels que Le Figaro et Le Petit Parisien. Un premier roman, Le Tour du monde d'un gamin de Paris, connaît un grand succès populaire, prépublié en feuilleton en 1879 dans le Journal des voyages. Entre deux voyages, il revient au pays natal où il écrit romans sur romans, la plupart paraissant en feuilletons avant d'être édités en librairie. Il promène ses héros à travers le monde; il les expose à tous les périls, mais fait toujours en sorte que le bon triomphe et que le méchant soit puni le succès est considérable. Fervent républicain, il témoigne dans ses écrits d'une vision nationaliste farouchement anti-allemande, anti-anglaise (ce qui explique qu'il n'ait pas été publié dans les pays anglo-saxons) et colonialiste. Le fait que Boussenard ait fait son service militaire pendant la guerre de 1870, où il fut blessé, explique que tous les ennemis dans ses récits soient des Allemands.