About the Book
Extrait Quand on va sa route, seul, on prend à toute occasion le plaisir de dire le mot que les gens du quartier n'osent pas. Fini le souci d'édifier des voisins et la concierge. Plus de morale ! Plus de trafic ! Assez d'attrape-clientèle... À l'argument de la masse, aux catéchismes des foules, à toutes les raisons-d'état de la collectivité, voici que s'opposent les raisons personnelles de l'Individu. Quelles raisons Chacun les siennes. L'isolé se gardera de prêcher une règle commune. Le réfractaire ne fait pas la place pour une doctrine. Pense toi-même ! Quel est ton cas Ton âge Ton désir Ta force As-tu besoin des béquilles que t'offrent les religions Si oui, retourne à ton église, désormais, par ton choix, valable. Préfères-tu, toujours disciple, le rêve des sociologues C'est bon, tu nous conteras tes projets pour l'an deux mille. Ou bien te sens-tu d'aplomb veux-tu donc vivre es-tu prêt Alors n'attends plus personne, marche à ta haine, à tes joies - aux joies des franchises totales, des risques et de la fierté. On marche, on agit, on vise, parce qu'un instinct combatif, à la sieste nostalgique vous fait préférer la chasse. Sur la lisière du code, on braconne le gros gibier: des officiers et des juges, des daims ou des carnassiers; on débusque aux forêts de Bondy le troupeau des politiciens; on se plaît à prendre au collet le financier ravageur; on relance à tous les carrefours la gent de lettres domestiquée, plumes et poils, souilleurs d'idées, terreurs de presse et de police. Lors des querelles entre les sectes, les races ou les partis, chaque jour, au hasard des faits, des coups à porter se précisent: Demandez l'affaire Dreyfus ! ou la manière de traiter la Magistrature et l'Armée comme elles le méritent... Fêtons l'hermine et la garance ! Les démolisseurs conscients ne se spécialisèrent pas: tour à tour, selon la rencontre, ils pointèrent de droite et de gauche. Durant le même temps, l'esprit de corps donna de jolis résultats: les magistrats, les militaires, les costumés, la livrée, tous les servants de la Société débinèrent la vieille patronne. L'office en rumeur s'aigrit. Robins, rabbins et curés, les officiants, les officiels, les officiers, les complices jonglèrent dans l'antichambre avec les objets du culte. On scandalisa les fidèles. Le doute dessilla les yeux. En quelques mois le peuple-enfant surprit qu'on lui cachait des choses ... Maintenant la confiance est morte: les mauvais pasteurs l'ont tuée. Près de la hampe brisée du drapeau, les balances de la justice gisent comme de la ferraille parmi du bois à brûler... C'est en vain que, la crise passée, les brocanteurs de la Patrie tenteront des raccommodages. Plus rare se fera la pratique. La bonne histoire d'une France signifiant, entre les nations, progrès, générosité, n'égarera pas tant de badauds: jamais on ne connut de tribu plus acharnée à maintenir un homme au poteau de torture.
About the Author: Alphonse Gallaud de la Pérouse, dit Zo d'Axa, né à Paris le 24 mai 1864 et mort à Marseille le 30 août 1930, est un anarchiste individualiste, antimilitariste, pamphlétaire et journaliste satirique français. Zo d'Axa est issu d'une famille bourgeoise. Descendant du navigateur La Pérouse, petit-fils du fournisseur officiel des aliments laitiers de la famille impériale, il est le fils d'un haut fonctionnaire des Chemins de fer d'Orléans devenu par la suite ingénieur de la Ville de Paris. Quant à sa soeur Marie, elle passe plusieurs années au Tibet où elle voyage habillée en homme, en compagnie d'un Sherpa. Elle publie d'ailleurs en 1929 une histoire du bouddhisme. Après des études au collège Chaptal, Zo d'Axa s'engage en 1882 dans les chasseurs d'Afrique. Il déserte rapidement, après avoir séduit la femme de son officier supérieur. Réfugié à Bruxelles, il collabore aux Nouvelles du jour puis devient quelque temps secrétaire du théâtre de l'Alcazar puis au théâtre de l'Eden. Après avoir publié un essai poétique intitulé Au Galop, Zo d'Axa s'installe à Rome et fréquente la Villa Médicis où il rencontre les peintres Scipione Vannutelli, Constant Montald et Cesare Biseo pour lesquels il pose. Il collabore à ce moment au journal L'Italie, où il fait office de critique d'art. L'amnistie de 1889 lui permet de rentrer en France. C'est à ce moment que Zo d'Axa s'implique dans les milieux libertaires, même si son individualisme le pousse à rejeter l'étiquette d'anarchiste. Il fonde en mai 1891 L'En dehors, un hebdomadaire dont le titre résume à lui seul sa pensée et qui publie 91 numéros jusqu'en 1893 (le titre sera repris par Émile Armand en 1922). Les collaborateurs, anarchistes ou non, y sont nombreux: Tristan Bernard, Georges Darien, Lucien Descaves, Sébastien Faure, Félix Fénéon, Bernard Lazare, Errico Malatesta, Charles Malato, Louise Michel et Octave Mirbeau, pour n'en nommer que quelques-uns. Dans une atmosphère de propagande par le fait et d'attentats, L'En dehors est rapidement la cible des autorités, et subit perquisitions, poursuites et saisies. D'Axa, Louis Matha et Lecoq finissent par être condamnés