Il serait impossible, et il serait superflu, de résumer en quelques lignes l'histoire d'une âme aussi riche et aussi complexe que fut celle de Pascal. On l'a vue vivre tout près de soi, et cela vaut mieux que d'en avoir une définition par formules. Mais ce qu'il convient d'en retenir, c'est l'impression d'unité qu'elle donne. A part peut-être la période de la crise que provoquèrent la mort de M. Pascal et la retraite de Jacqueline, - et dont le caractère ne peut être déterminé avec une entière précision, - le développement spirituel de Pascal se produit dans une même direction. A aucun moment il n'y a rupture brusque avec le passé; son âme se transforme, sans rien perdre de ce qu'elle a pu acquérir antérieurement; elle s'assimile et elle organise tout; elle n'oublie rien. Dès 1647 la polémique avec le père Noël et l'affaire du frère Saint-Ange manifestent l'unité de l'esprit de Pascal, combattant dans la science autant que dans la théologie les spéculations a priori, belles pensées ou raisonnements séduisants, à l'aide des faits, expériences de physique ou textes de l'Écriture. La seconde conversion ne détruit pas cette unité dans son beau fragment sur les trois ordres de grandeurs, il reprend pour faire éclater la charité de Jésus-Christ quelques-unes des pensées qu'il adressait à la reine Christine sur la dignité des savants vis-à-vis des souverains; et en: 1660 il écrivit à Format une lettre qui est à peu près entièrement dans le style du chevalier de Méré. En réalité, si Pascal n'a pas toujours été dans les mêmes occupations, pour reprendre son expression, il n'y a pas eu dans sa pensée même l'antagonisme et la lutte qu'on dit quelquefois. S'il a pu être tour à tour géomètre, mondain et janséniste, il n'y a point contradiction entre les conceptions fondamentales qu'il a retirées de cette triple expérience; tout au contraire, elles lui en ont paru s'harmoniser dans une vérité supérieure qui révèle le principe directeur de la pensée de Pascal: à savoir la primauté du sentiment immédiat sur la raison pure. Le géomètre se place directement en face de notions, comme le nombre et l'espace, qui ne peuvent être définies, qui sont vues par le coeur et à ce titre sont plus sûres que tout raisonnement, qui fondent pour mieux dire la certitude de tout raisonnement, ainsi que l'attestent les réflexions sur l'Esprit géométrique. Le mondain entend vite à l'école de Méré cette finesse de goût, de tact et de jugement qui fait l'esprit délicat et l'honnête homme. D'un autre ton, et sur un autre sujet, Saint Augustin et ses disciples, Jansénius ou Saint-Cyran, disent ce que dit Méré eux aussi, ils mettent leur confiance dans le coeur, ils y subordonnent le raisonnement pur, l'intelligence qui voudrait tout ramener à sa taille. C'est à cette vue commune qu'aboutit le développement de la pensée de Pascal; il était nécessaire de s'en rendre compte avant d'aborder l'oeuvre où se manifestent, comme il dit lui-même, ces trois qualités: géomètre, pyrrhonien, chrétien .