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Extrait: Chapitre 1 UN COIN D'ANGLETERRE RUE DE POMEREU Tous les amateurs de chevaux, qui pratiquaient ce noble sport il y a trente ans et qui lui demeurent fidèles en dépit de l'automobile, se rappellent, avec un regret jamais consolé, M. Robert Campbell, Bob Campbell, l'importateur breveté des poneys du pays de Galles, le rival des Bartlett et des Hensman, le gros Bob, enfin. Il fallait le voir descendre les Champs-Elysées, dans son tonneau, avec son rouge visage, rasé de près, où luisaient des yeux d'un bleu si clair. La bête qu'il menait - rarement la même - était toujours un petit animal, bâti en hercule, qui mesurait un mètre trente-deux, trente-cinq - treize mains, disait-il dans son français traduit de l'anglais, - et elle allait, elle allait, dévorant l'espace de ses membres courts... Le gros Bob était vêtu, hiver comme été, d'un complet coupé dans une de ces étoffes rudes qui sentent la tourbière, que l'on appelle Harris, à cause des îles où elles sont tissées. Il fumait une courte pipe en bois de bruyère. Quoiqu'il fût devenu, de par son métier, un des figurants du tout Paris élégant, il semblait échappé d'une lithographie du Punch, avec son haut chapeau d'un drap noir ou gris, suivant la saison, et son mufle de dogue, d'un flegme si intensément, si insulairement impassible. Il parlait, et c'était une gageure, L'Anglais classique de l'ancien répertoire du Palais-Royal ne prononçait pas notre langue d'un accent plus cocasse. Il ne donnait pas à notre syntaxe des entorses plus audacieuses. Les avisés ne s'y trompaient point. Le gros Bob savait le français comme vous et moi, et, si vous débattiez un marché avec lui, vous deviez prendre bien garde que pas une nuance de vos phrases ne lui échappait. En revanche, ce que personne ne savait comme lui, c'était le mot de cette énigme à quatre jambes que représente un cheval inconnu pour tout acheteur, et, neuf fois sur dix, pour tout marchand. Quelques minutes suffisaient à Bob pour discerner si l'animal était jeune ou vieux, et son âge à six mois près, s'il se nourrissait bien ou mal et pourquoi, s'il était vite ou paresseux, franc ou cabochard et comment, s'il respirait avec des poumons et un coeur intacts, ce que valaient ses jarrets, ses paturons, ses sabots, leur corne, leur sole, ce qu'il avait déjà fait, ce qu'il pouvait faire, toute son histoire. Son oeil pers était impayable de sérieux gouailleur, quand il procédait à ce diagnostic, aussi infaillible dans son domaine que pouvait l'être, à cette même époque, celui d'un Dieulafoy sur un malade de son hôpital ou d'un Morelli sur un tableau du quinzième siècle. Il n'y avait pas d'exemple qu'un fermier du Norfolk ou du Kerry eût jamais enrossé le gros Bob... Paul Bourget, né à Amiens le 2 septembre 1852 et mort à Paris le 25 décembre 1935, est un écrivain et essayiste catholique français issu d'une famille originaire d'Ardèche. Ayant donné le signal d'une réaction contre le naturalisme en littérature, Bourget est d'abord tenté par le roman d'analyse expérimental. La finesse de ses études de moeurs et de caractères séduit le public mondain qu'il fréquente dans les salons parisiens de la Troisième République. Ses premiers romans - Cruelle énigme (1885), Un crime d'amour (1886) et Mensonges (1887) - ont ainsi un grand retentissement auprès d'une jeune génération en quête de rêve de modernité. Le romancier change ensuite de direction et s'oriente à partir du roman Le Disciple (1889), considéré comme son oeuvre majeure, vers le roman à thèse, c'est-à-dire le roman d'idées. Il ne se contente plus de l'analyse des moeurs mais en dévoile les origines et les causes, soumises à des lois inéluctables et dont la transgression amène tous les désordres individuels et sociaux. Cette nouvelle voie conduit Paul Bourget à écrire des romans davantage psychologiques: L'Étape (190