About the Book
Extrait, I Entre Domfront et Comlie. Une plaine, des champs cultivés que traverse une grande route. À l'horizon, des collines basses, une futaie, les toits d'un village, sur la route, une maison isolée. Les maisons, comme les rues et les hommes, ont une physionomie: les unes ont l'air calme, d'autres, l'air affairé. Par cette porte, doit passer un célibataire; de cette fenêtre, il ne peut sortir que des voix d'enfants. - Ne voudriez-vous pas aimer sous ce toit, pleurer sous cet autre ? - Comme on doit être heureux derrière cette cloison; mais que l'on doit souffrir à l'ombre de ce mur !... Celle-là ressemblait aux maisons dont les journaux illustrés donnent le Fac simile, lors des grands procès en cour d'assises, avec ces mots écrits au-dessous: Maison du crime ! Elle était sinistre: sa porte, garnie de clous à têtes rouillées, semblait ne devoir s'ouvrir que devant une sommation. La poussière du chemin s'était attachée invinciblement aux carreaux de ses étroites fenêtres. Le tout, noirci et délabré, n'avait qu'une longue cheminée dont nulle fumée ne s'échappait. La fumée implique le feu qui pétille, - le repas qu'on apprête, - la ménagère qui va et vient, son tablier retroussé sur le côté, - des enfants qui crient, - des casseroles qui chantent: - mille choses joyeuses dont cette maison paraissait dépourvue. Flanqué contre elle, un toit à porcs, à demi caché par une touffe de sureaux; de maigres poules errant dans la cour; un chien étique dans une niche vermoulue; un jardin rempli de mauvaises herbes et des arbres mal taillés entrecroisant leurs branches folles et, partout alentour, la plaine nue, le jour qui tombe. Tout à coup, - pareil à un foyer dont la flamme, avant de disparaître, remplit l'appartement d'un jet de clarté, - le soleil couchant illumine le paysage. Et, - pareilles à un vieillard qui semble rajeunir, lorsqu'un éclair de mémoire ou d'intelligence traverse son cerveau, - la plaine et la maison retrouvèrent un peu de charme et de vie sous le soleil. La lumière occidentale fit étinceler l'herbe mouillée; l'eau des fossés qui bordaient la route brilla comme un miroir d'acier; les vitres des croisées répercutèrent mille rayons. Les fleurs des arbres prirent des teintes d'or, et la flamme rouge de l'astre fît une sorte d'auréole aux branches des pommiers. Mais cette splendeur ne dura qu'un instant; le soleil disparut derrière les lignes grisâtres des collines et des nuages entassés à l'horizon. La lumière s'effaça entièrement, l'eau redevint boueuse, l'herbe noire et la tristesse s'étendit de nouveau sur le paysage. - Une lumière parut derrière les vitres de la maison. Le vent du soir se leva, les feuillées craquèrent au bruit de sa musique lugubre. La bise fit fléchir les trémois dans les champs obscurcis; le vent augmenta, il se prit à rugir, à faire crier le chaume, claquer les volets, à disperser des branchages et des feuilles. C'était principalement sur la route unie qu'il sévissait avec toute sa fureur. Nul obstacle devant lui: ni laboureur avec sa charrue, ni roulier avec sa charrette, ni cavaliers, ni piétons, - personne ! La nuit avait fait cette route déserte plus déserte encore.
About the Author: Marie-Lætitia Bonaparte-Wyse, dite Marie de Solms née à Waterford, (Irlande) le 25 avril 1831, décédée à Paris le 6 février 1902 (à 70 ans), est une femme de lettres, poètesse, fondatrice de plusieurs revues, journaliste empruntant plusieurs pseudonymes comme Le baron de Stock ou Bernard Camille . Elle est aussi surnommée "La Muse des Alpes". Biographie En décembre 1848 elle épouse sur un coup de tête, pour résister à sa mère le comte Frédéric Joseph de Solms (1815-1863). En 1850, jeune et coquette, elle rêve de poésie. À Paris, elle tient un salon fréquenté par Victor Hugo, Gérard de Nerval, François Ponsard, Sainte-Beuve, Alexandre Dumas, George Sand et Eugène Sue. Vers 1852 elle est interdite de séjour à Paris par la police de Napoléon III qui la soupçonne de complot et d'espionnage et s'exile en Savoie, à Aix-les-Bains où elle met toute son énergie et réussit à faire vivre son salon au chalet de Solms, chalet où elle va habiter de 1853 à 1863. Entre 1853 et 1857, elle entretient une relation forte et scandaleuse avec Eugène Sue, son aîné de 28 ans, qui vient souvent lui rendre visite depuis son exil d'Annecy-le-Vieux. En 1854 elle fait construire le premier véritable théâtre d'Aix-les-Bains, dans ce théâtre dont elle est la directrice et l'animatrice, elle fit jouer des pièces de Marivaux, d'Alfred de Musset, d'Alexandre Dumas, de François Ponsard, d'Octave Feuillet puis des comédies de sa composition, elle recevra la visite du célèbre violoniste Van der Heyden et de Feydeau en 1859, son talent la pousse en 1858 à créer une revue littéraire et artistique "Les Matinées d'Aix-les-Bains" complétée en 1863 par le "journal du Chalet", elle y commente la vie littéraire française ainsi que les activités de la station.