About the Book
Extrait: LA TRAVERSÉE. Encore le capitaine Niquelet.-Morale maritime.-Leçons pour les passagers.-Moeurs des équipages.-Le bonhomme Tropique.-Le baptême.-Ivon prend le nom de M. de Livonière.-Une nuit et un lever de soleil sous le tropique.-La pêche à bord.-Le feu Saint-Elme.-La cagne. Combien, après avoir passé par toutes les angoisses que nous venions d'éprouver, un marin se sent soulagé, lorsqu'il se trouve en pleine mer, affranchi, pour ainsi dire, de toutes les tribulations auxquelles il laisse les habitans de la terre en proie! Il n'a plus qu'à combattre les élémens qui se disputent sa vie, et cette lutte ne saurait effrayer son courage, ni lasser sa patience. Son âme au contraire aime à s'élever au niveau des dangers, qu'il a mille fois affrontés, et à grandir dans les périls nouveaux qu'il prévoit encore. Viennent les Anglais et les tempêtes, me disais-je! j'ai de quoi leur tenir tête. Avec un vaillant capitaine, un bon navire, et l'Océan à parcourir comme notre domaine, nous n'avons rien à craindre; et en effet, tous les marins, dès qu'ils ont mis le pied à la mer et qu'ils ont perdu la vue des côtes, semblent être chez eux, et dans un asile désormais inviolable! Le capitaine de la Gazelle ne tarda pas à me prendre en affection, non pas sans doute pour cette gentillesse dont s'étaient enivrées Rosalie et madame Milliken, mais bien parce qu'il remarqua en moi un zèle excessif, et une activité qui était en lui. Car, je dois le faire remarquer ici en l'honneur des marins, à terre, ils peuvent bien témoigner de l'amitié à ceux qui leur plaisent le plus; c'est là, pour eux, comme pour les autres hommes, une affaire de goût ou de fantaisie; mais, une fois à la mer, ce n'est guère qu'aux plus dévoués et aux plus capables qu'ils accordent leur estime, et cette estime se manifeste quelquefois d'une manière assez bizarre: vous allez en juger par un fait. Le capitaine Niquelet, par exemple, que j'avais trouvé si aimable, en racontant une de ses aventures, dans le café de Rosalie, ne me parut pas, une fois au large, le même homme. Ce n'était plus ce corsaire si délié, si sémillant, et si bon enfant enfin. Il s'était fait ours ou loup, après quelques jours de mer. Deux jolies passagères, papillonnant autour de lui, quand il se promenait gravement sur le gaillard-d'arrière, parvenaient à peine à lui arracher un sourire, à lui qui, à terre, aurait peut-être jeté toute une fortune par la fenêtre, pour obtenir un seul regard d'une de ces femmes qui, à bord, cherchaient si inutilement à l'agacer. Le second ou le troisième jour de notre sortie de la Manche, il me tutoya: c'était déjà bon signe. Il m'avait grondé sept à huit fois: c'était encore de meilleure augure. Je faisais de mon mieux, en travaillant et en grimpant jour et nuit, pour obtenir un mot approbateur de lui, et néanmoins les mots encourageans ne venaient pas encore. Mais lorsque, devant le capitaine, un officier du bord me donnait ce qu'on appelle un poil, je voyais que Niquelet souffrait. Il m'annonça brusquement... Jean Antoine René Édouard Corbière, né à Brest (Finistère) le 1er avril 1793 et mort à Morlaix (Finistère) le 27 septembre 1875, est un marin, armateur, journaliste et écrivain français, considéré comme le père du roman maritime en France. Biographie Les années de formation La famille Corbière est originaire du Haut-Languedoc (le hameau de Valès, aujourd'hui sur la commune du Bez, à l'est de Castres, dans le Tarn). À la naissance d'Édouard, son père est capitaine d'infanterie de Marine. Sa mère, Jeanne-Renée Dubois, est née à Morlaix en 1768. Édouard est le troisième de quatre enfants. Orphelin de père en 1802, le jeune Édouard n'a alors d'autre choix que d'entrer dans la Marine pour subvenir aux besoins de sa famille. Mousse en 1804, novice en 1806, aspirant dès 1807, Édouard Corbière connaît la dure ex