About the Book
Extrait; Une vibrante sonnerie de bugle retentit. Commencez le feu ! Brusquement l'avenue conduisant au village, dont la rue principale est barricadée, s'emplit d'une fumée blanche d'où surgissent, comme des éclairs, de longues coulées de flammes. Une détonation violente que domine le déchirement strident de la mitrailleuse, éclate sous les arbres dont les feuilles s'échevèlent, comme sous la poussée d'un vent d'orage. Là-bas, à cinq cents mètres, un ouragan de fer s'abat en même temps sur la barricade, broyant les madriers, faisant voler en éclats les pierres, mutilant affreusement quelques hommes. Dis donc, Louis, fait avec un intraduisible accent beauceron un vieux tout gris, d'une taille colossale, paraît qu'on nous accorde aujourd'hui les honneurs du canon. Mâtin !... on se met en frais, pour des sauvages ! - Honneur périlleux, mon cher Baptiste, répond cordialement un homme d'une quarantaine d'années, au visage énergique et sympathique, encadré d'épais favoris, et nous n'avons, pour répondre, que des fusils. - Va toujours !... Avec un chef comme toi, des gars comme nous s'en iraient au diable et même plus loin. Tu t'appelles Louis Riel et nous sommes les Bois-Brûlés... Une nouvelle salve retentit, coupant la parole à Baptiste, la barricade ébranlée frémit sur ses assises, trois hommes broyés par la mitraille s'abattent sans un cri. Tenez bon ici, dit brièvement Louis Riel: moi je monte au clocher surveiller l'attaque. - Et puis, tu sais, ménage-toi si ça t'est possible, et tâche de ne pas t'exposer comme hier, que c'est un miracle si t'en es revenu. - Adieu, Baptiste !... une bonne poignée de main... tu commandes ici au poste le plus périlleux... tu réponds de tout... - Tant que je serai debout, foi d'homme ! Avec un calme superbe, le héros de l'indépendance des métis franco-canadiens remonte la rue où pleuvent les débris et les projectiles, et s'en va vers l'église défendue d'un côté par le mur crénelé du cimetière. La batterie ennemie, tirant par section, tonne sans relâche, et les obus tombent ininterrompus sur le même point. Derrière la barricade qui se désagrège lentement, à chaque salve, se tiennent une centaine d'hommes, au visage bronzé, dont les traits crispés, les yeux luisants démentent l'apparente impassibilité. À peu près uniformément vêtu de blouses de chasse et de pantalons en peau de cerf tannée à la manière indienne, ils portent, pour la plupart, des carabines Winchester à répétition, armes terribles, entre les mains habiles de ces rudes habitants du nord-ouest. Nul vestige d'ailleurs de distinction militaire, sur ces vêtements si commodes pour la vie d'aventures. Ni plumets, ni épaulettes, ni insignes de grades: rien ! Tout le monde soldat, avec un revolver, une hache, une carabine. Les chefs, on les connaît, on sait ce qu'ils valent, et on leur obéit d'enthousiasme. Mais cette passivité va mal à leur bouillante ardeur. Recevoir des coups sans les rendre, cela met leur courage à une rude épreuve. À tel point que l'un deux, interpellant le chef s'écrie: Voyons, père Baptiste, est-ce que tu vas nous laisser écheniller comme ça !... les canons de ces païens d'Anglais ne sont pas à six cents mètres... on pourrait s'arranger de façon à les faire taire. - Ça s'peut ! mais faut des hommes de bonne volonté, avec ça malins tireurs, pour monter soit su' les maisons, soit su' la barricade... et dame ! y fait chaud, là-haut. Cinquante métis Bois-Brûlés se présentèrent au milieu des débris qui pleuvent de toutes parts. Minute ! reprend Baptiste impassible. La plupart d'entre vous sont des pères de famille... du monde à ménager... faut de la jeunesse... en tout six gars lurons... un par canon, c'est trop juste.
About the Author: Louis-Henri Boussenard, né à Escrennes le 4 octobre 1847 et mort à Orléans le 11 septembre 1910, est un écrivain français, auteur de romans d'aventure. Surnommé de son vivant le Rider Haggard français, il est plus connu aujourd'hui en Europe de l'Est, où quarante volumes de ses oeuvres furent publiés dans la Russie impériale en 1911, que dans les pays francophones. Biographie; Après des études de médecine, il se consacre à l'écriture. Le gouvernement lui ayant confié une mission scientifique en Guyane, il voyage beaucoup dans les colonies françaises, surtout en Afrique. Lors de la guerre de 1870, il est vite blessé par les Prussiens, expérience amère capable d'expliquer un incontestable sentiment nationaliste qui se rencontre dans plusieurs de ses romans. Quelques-uns de ses livres portent la marque de préjugés contre les Britanniques, ce qui explique sans doute qu'il ait été peu traduit et soit peu connu dans le monde anglophone. Ses contes et nouvelles paraissent dans de nombreux journaux tels que Le Figaro et Le Petit Parisien. Un premier roman, Le Tour du monde d'un gamin de Paris, connaît un grand succès populaire, prépublié en feuilleton en 1879 dans le Journal des voyages. Entre deux voyages, il revient au pays natal où il écrit romans sur romans, la plupart paraissant en feuilletons avant d'être édités en librairie. Il promène ses héros à travers le monde; il les expose à tous les périls, mais fait toujours en sorte que le bon triomphe et que le méchant soit puni le succès est considérable. Fervent républicain, il témoigne dans ses écrits d'une vision nationaliste farouchement anti-allemande, anti-anglaise (ce qui explique qu'il n'ait pas été publié dans les pays anglo-saxons) et colonialiste. Le fait que Boussenard ait fait son service militaire pendant la guerre de 1870, où il fut blessé, explique que tous les ennemis dans ses récits soient des Allemands