Avez-vous jamais été dans la position où vous avez tout perdu, où tout autour de vous est perdu et où la destinée, la seule, qui vous est offerte est d'apporter au monde encore plus de destruction ? Non ? Alors c'est qu'effectivement vous ne pouvez vous mettre à ma place. Ce livre, ce livre que j'étais en train d'écrire, ce livre était Ma création, le seul concept que j'espérais devenir artefact, unique témoignage de qui j'aurais pu être vraiment. En des termes communs et larmoyants, il ne me restait plus que cela. Mais au moins me restait-il cela; élément que je ne pouvais, et ne peux toujours pas d'ailleurs, attribuer à J-C-. Je me rends bien compte désormais, maintenant que ma mémoire revient à petit pas, de l'origine de notre antagonisme. Il ne s'agissait pas uniquement de monodie et de polyphonie comme l'avait déclaré Dinant, ses racines se trouvait également, et surtout, dans le temps, le découlement de celui-ci et mes problèmes avec ses simultanéités et ses successions. Nous étions en conflit permanent, moi empêtré dans les problèmes temporels, J-, lui, toujours en rythme, en cadence, éternellement là quand il le fallait; lui en mélodie connaissant d'avance sa tonalité finale, moi uniquement en hauteur, seulement bon à brailler; lui en harmonisant son contexte, sa suite, moi brassant difficilement, abonné aux chimères, les simultanéités sociales, sociables et sociétales que requérait comme attributs le monde des hommes de cette époque. Seul le timbre, le discours que nous tenions et entretenions tous deux, sur ce point nous donnions raison à la confrérie de nous avoir associés, semblait ne pas être un motif de rivalité. Mais nous n'étions d'accord sur rien d'autre, ni sur l'origine de l'être, ni sur les fondements de sa culture, ni même sur son devenir, les trois critères que nous avions jugés ensemble comme les principes régissant la destinée même et que nous avions baptisés trièdre fondamental de l'existence. Permettez-moi de poursuivre ma narration de cette histoire, qu'écris-je notre Histoire, celle nous liant par delà toutes les infamies au gré des fils et des noeuds des événements et des personnages la parsemant, celle permettant à un trentenaire parisien déphasé d'avec son époque et des valeurs de l'orée de ce siècle d'abdiquer et de renaître sous la forme scélérate d'un Judas Iscariote des temps nouveaux, pourfendeur des maux et des strates de la société l'accueillant en son sein, mais pourvoyeur et inquisiteur de nouvelles réalités. Cana est le 3ème mouvement du Complexe de la Multitude que seul pourra rasséréner la vision prochaine du Royaume de Latre...