About the Book
EXTRAIT: On ne prête qu'aux riches - cette parole du Livre de la Sagesse, tout écrivain peut la reprendre à son compte: On ne se raconte qu'à ceux qui ont beaucoup raconté. - Rien n'est plus faux que l'idée reçue selon laquelle l'imagination de l'écrivain est sans cesse à l'oeuvre, et qu'il trouve dans cette inépuisable réserve ses histoires et ses personnages. En vérité, au lieu d'inventer, il lui suffit de laisser venir à lui les figures et les événements: s'il a su préserver ce don qui lui est propre, de voir et d'entendre, ils viendront toujours différents se présenter au conteur qu'il est. Car à celui qui a souvent expliqué les destinées, beaucoup d'hommes viennent conter la leur. Cette histoire m'a elle aussi été confiée, et sous cette forme même, d'une manière très inattendue. À mon dernier séjour à Vienne, éreinté par une journée remplie par mille et une courses, je cherchai un restaurant des faubourgs, que je supposais être depuis longtemps passé de mode, et donc peu fréquenté. Mais à peine entré, je vis avec irritation que je m'étais trompé. À la première table déjà, une personne de connaissance se leva en me témoignant toutes les marques d'une joie sincère (auxquelles je fus loin de répondre avec autant de chaleur) et m'invita à prendre place à ses côtés. Ce serait mentir que d'affirmer que cet empressé était un personnage fâcheux ou désagréable: c'était seulement une de ces natures compulsivement sociables qui, d'une façon aussi acharnée que les enfants collectionnent les timbres, accumulent les relations et sont fières du moindre exemplaire de leur collection, avec toujours une bonne raison. Pour ce sympathique original - archiviste de son métier, actif et fort cultivé - le sens de la vie se résumait dans le modeste bonheur de pouvoir, à propos de chaque nom qu'il voyait de temps à autre imprimé dans le journal, ajouter: C'est un bon ami à moi, ou bien Lui, je l'ai rencontré encore hier soir, ou mon ami A. m'a dit ou bien mon ami B. pense que, et ainsi de suite pour tout l'alphabet. On pouvait compter sur lui pour faire la claque aux premières de ses amis, pour téléphoner aux actrices le lendemain matin et les féliciter; il n'oubliait jamais un anniversaire, passait sous silence les articles trop critiques, mais vous envoyait les pages d'éloges avec sa cordiale sympathie. Pas un fâcheux, donc, mais plutôt quelqu'un de sincèrement dévoué, déjà très heureux si on lui demandait un menu service ou si l'on ajoutait un nouvel objet au cabinet de curiosités de ses connaissances.
About the Author: Stefan Zweig, né le 28 novembre 1881 à Vienne, en Autriche-Hongrie, et mort par suicide le 22 février 1942, à Petrópolis au Brésil, est un écrivain, dramaturge, journaliste et biographe autrichien. Ami de Sigmund Freud, d'Arthur Schnitzler, de Romain Rolland, de Richard Strauss et d'Émile Verhaeren, Stefan Zweig fit partie de la fine fleur de l'intelligentsia juive viennoise, avant de quitter son pays natal en 1934 en raison de la montée du nazisme. Réfugié à Londres, il y poursuit une oeuvre de biographe (Joseph Fouché, Marie Antoinette, Marie Stuart) et surtout d'auteur de romans et nouvelles qui ont conservé leur attrait près d'un siècle plus tard (Amok, La Pitié dangereuse, La Confusion des sentiments). Dans son livre testament Le Monde d'hier. Souvenirs d'un Européen, Zweig se fait chroniqueur de l' Âge d'or de l'Europe et analyse avec lucidité ce qu'il considère être l'échec d'une civilisation. La lente maturation d'un écrivain (1881-1904) Stefan Zweig est le fils de Moritz Zweig. Ce dernier est né en 1845, d'une famille originaire de la Moravie, et a d'abord été marchand avant de fonder, à l'âge de trente ans, une petite tisseranderie dans le nord de la Bohême et de devenir un fabricant de tissus fortuné; il épouse Ida (Brettauer) Zweig, née en 1854, fille d'un banquier récemment installé à Vienne après avoir fait ses débuts à Ancône. Stefan Zweig naît le 28 novembre 1881 à Vienne. Avec son frère aîné, Alfred, il complète une famille (qui) a voulu réussir son intégration et tenu à (leur) donner une éducation laïque. À l'exemple de ses parents, il(s) ne parle(nt) pas l'hébreu, ne fréquente(nt) pas la synagogue, ne cultive(nt) pas (leurs) racines..., et (Stefan) n'aime pas s'entendre rappeler qu'il est juif . Stephan Zweig (debout) et son frère Alfred, vers 1900 Zweig est élevé à Vienne, dans le quartier du Ring à l'atmosphère bourgeoise et conformiste si caractéristique du règne de l'empereur François-Joseph. Inscrit en 1891 au Maximilian Gymnasium (actuel Gymnasium Wasagasse (en)), il subit l'enseignement scolaire, extrêmement rigide et autoritaire, comme un bagne. Il réussit malgré tout à obtenir son baccalauréat en 1900, avec une distinction en allemand, en physique et en histoire. À l'université de Vienne, il s'inscrit en philosophie et en histoire de la littérature, étudie la romanistique et la germanistique. À Vienne, il est associé au mouvement d'avant-garde Jeune Vienne