About the Book
Extrait LA MAISON DE L'OGRE Tout à fait au bord de la mer, dans un bouquet de pins, de tamarix que j'ai plantés il y a vingt ans, et qui sont devenus de grands arbres, se cache une sorte de cabane, de tonnelle, couverte, en guise de chaume, par des branches de notre grande bruyère blanche si parfumée; elle est ouverte du côté qui fait face à la mer, et comme fortifiée de ce côté par des yuccas et des agaves sous lesquels s'étend une pelouse de cette grande ficoïde dont les fleurs, semblables à la reine-marguerite et plus larges qu'elle, sont, selon la variété, ou d'un jaune brillant sur un feuillage d'un vert gai, ou d'un rouge amaranthe, sur un feuillage d'un vert un peu cendré. Lorsque le vent vient du large, on y est fort exposé au poudrin, et même quelque lame vient baigner le pied de la cabane. A quelques pas au-dessous, nos bateaux, le plus souvent, sont mouillés dans un petit abri de rochers ou tirés plus haut sur le sable quand la mer est mauvaise ou menaçante. J'étais blotti dans cette cabane un des jours où la flotte cuirassée et les torpilleurs sont venus faire une petite guerre dans la baie de Saint-Raphaël. Ces vaisseaux cuirassés, qui semblent des monstres énormes, sont loin d'avoir le charme et la grâce des bateaux de pêche qui seuls d'ordinaire sillonnent une mer le plus souvent calme ou ridée par une douce brise-semblables avec leurs voiles blanches à de grands cygnes glissant sur l'eau.-Les gigantesques vaisseaux cuirassés rompent les dimensions et l'harmonie; notre baie paraît plus étroite, les collines et les montagnes qui la bornent à l'ouest et au nord-ouest semblent moins élevées, et nos deux îlots de porphyre rouge ne paraissent plus que comme deux gros cailloux. Sur le sable, au pied du talus sur lequel repose la cabane, deux jeunes hommes étaient couchés et devisaient ensemble: -l'un que je connais de vue était un jeune professeur aspirant aux hauts grades universitaires, l'autre était un marin qui était venu en congé de convalescence se refaire dans sa famille à Saint-Raphaël. -Que c'est donc beau! disait le marin, -en désignant les vaisseaux à son compagnon, -voici l'Indomptable, -voici la Dévastation, -voici le Courbet et voici le mien, le Richelieu, sur lequel, après demain, j'irai remonter à Toulon. Est-ce assez beau, assez chic ces grands cuirassés! Jean Baptiste Alphonse Karr, né à Paris le 24 novembre 1808 et mort à Saint-Raphaël le 30 septembre 1890, est un romancier et journaliste français. Biographie Alphonse est le fils du pianiste compositeur munichois Henri Karr. En 1832, à l'âge de 24 ans, il débute dans la littérature avec son roman le plus célèbre, Sous les tilleuls, qui lui valut son entrée au Figaro. En 1836, il participe à La Chronique de Paris, fondée par Honoré de Balzac, dont la parution ne durera que six mois, mais qui fut un joyeux intermède. Ami de Victor Hugo, il est un auteur dans la veine romantique. Son roman Histoire de Romain d'Étretat fait connaître Étretat, où il se rendait souvent. Par ses écrits et son réseau d'amis (des artistes, des romanciers...), il contribue aussi à la réputation de Trouville et d'Honfleur. On peut même le considérer comme l'"inventeur" d'une autre station balnéaire normande, celle de Sainte-Adresse près du Havre, dont il est le conseiller municipal de 1843 à 1849 et dont il fait le lieu de plusieurs romans. En 1840, au cours d'une visite au salon littéraire de Louise Colet, il fait allusion aux amours de la maîtresse de maison avec Victor Cousin, celle-ci furieuse lui plante dans le dos un coup de couteau de cuisine. Blessé sans gravité, il ne porte pas plainte mais exposa le couteau sur le mur de sa chambre du no 46 rue Vivienne avec cette inscription: Donné par Louise Colet...dans le dos. De 1839 à 1849, il publie une revue satirique: Les Guêpes, dont il est l'unique rédacteur, dans lequel il vitupère