Je vis avec un de ces hommes dont on parle souvent. Ces poèmes passionnés qui tanguent vers la violence, le piège de zirconium (pas de diamant, faut pas déconner non plus) qui se referme sur vous, la dépendance affective, la dépendance financière, les enfants... et vous voilà à la merci d'un inconnu. Je suis une de ces femmes, que vous plaignez sur les réseaux et dans les discours, mais que vous croisez, sans le savoir, dans la vraie vie.
Vous le voyez, dans la rue, me parler avec un dédain appuyé et vous tournez la tête. Vous l'entendez me traiter de débile, de merde à travers les parois de notre immeuble, et vous montez le son de la télé. Vous voyez mes yeux boursouflés, mais vous baissez les votre sur votre téléphone. Vous imaginez bien qu'à force d'entendre tu ne vaux rien, va crever, je n'ai plus aucune estime pour moi-même, plus aucune ambition, et vous reprenez votre travail, fier de votre motivation. Vous le voyez, lorsque nous vous invitons à dîner, me rabaisser, m'humilier, me laisser faire les taches ménagères, mais vous faites une blague potache et redemandez du vin. De princesse à serpillère, il n'y a qu'un pas. Du resto 3 étoiles au commissariat aussi.
Je ne vous en veux pas. Notre société est ainsi faite. Chacun pour sa gueule, ne te mêle pas de la vie des autres. La domination masculine est si banale qu'elle n'inspire que peu d'indignation. Mais aujourd'hui, avec ces quelques lignes, j'ai décidé de venir vers vous. Je suis venue vous parler de ma nausée et de mon élan vers le dehors. De la lâcheté de la police à mon propre aveuglement, la culpabilité est diffuse, dans notre société toute entière. Mais aujourd'hui, je m'en fous. En écrivant ces lignes, je vais en sortir. Je suis venue vous parler de la fin de l'histoire, parce vous jouez un rôle dans cette histoire.
Chers lecteurs, ce que vous m'offrez, c'est une résurrection. Car, certes, aujourd'hui il me semble facile de claquer la porte, tant il est mauvais et tant son regard est dur. Mais demain ? Lorsque les joues ruisselantes, il me dira que je suis tout pour lui? Qu'il va mourir de douleur ? Qu'il changera, qu'il se fera soigner ? Je n'y croirai plus, ou du moins, je m'interdirai d'y croire, parce que j'ai pris cet engagement face à vous.