N'ayant du pouvoir royal que l'image instillée et colportée par l'Éducation nationale, les Français du XXIe siècle le croient tyrannique, unilatéral et absolu, cependant qu'il était opportunément contrebalancé par une multitude de corps intermédiaires préservant les sujets d'éventuelles velléités centralisatrices de l'État.
Spécialiste de l'Ancien Régime, diplômé de l'École des chartes, conservateur à la Bibliothèque de l'Arsenal et membre de l'Académie des sciences morales et politiques, l'historien Frantz Funck-Brentano (1862-1947) met en lumière avec force extraits d'archives, nombre d'anecdotes et de témoignages d'époque, cette symbiose si particulière entre un peuple et son souverain, qui souvent suscitait surprise et admiration des observateurs étrangers.
Réédition recomposée et enrichie de 18 illustrations mais fidèle à l'oeuvre originale parue en 1940, Ce qu'était un roi de France forme un vivant tableau de la vie royale dans l'ancien temps, l'auteur abordant l'organisation familiale de la société monarchique, chacun, et ceux mêmes qui ne l'avaient jamais vu, considérant le roi comme une connaissance personnelle; rappelant combien l'immense majorité des sujets du monarque vivaient à leur guise, sans autre loi ni contrainte que celles de leurs coutumes séculaires; montrant la facilité avec laquelle les Français pouvaient aborder un souverain qui s'intéressait à l'honneur, à la tranquillité, au bonheur domestiques; évoquant la façon dont chaque commune se gouvernait elle-même en s'imposant ses lois, les parlements des diverses provinces pouvant s'enorgueillir des mêmes prérogatives; expliquant le rôle primordial de la justice dans les fonctions royales; démystifiant la question des lettres de cachet qui n'avaient trait que pour une infime partie aux affaires d'État.
Au fil des pages s'esquisse un déconcertant paradoxe: si la personne du roi est au coeur de toutes les attentions et constitue l'âme du pays, l'atout du système monarchique réside en une subtile et fondamentale décentralisation, le médiéviste Henri Pirenne estimant que l'histoire ne nous a pas laissé de plus grand spectacle que le développement progressif de la monarchie française depuis ses origines jusqu'à la Révolution; développement continu et régulier, qui s'est fait par l'action des forces vives que cette institution avait en elle, indépendamment de la valeur de ceux qui, d'âge en âge, l'ont personnifiée .
En dépeignant un monarque de l'ancienne France qui, loin de craindre le peuple, lui demeurait accessible tel un père pour sa famille et tirait sa légitimité de sa charnelle filiation avec ceux qui constituèrent et défendirent le pays parfois de leurs propres mains, Frantz Funck-Brentano ne brosse-t-il pas, en creux, le portrait d'un chef d'État républicain ne devant quant à lui sa place qu'au vote démocratique en réalité frelaté car forgé par les puissances d'argent, et si éloigné du peuple qu'il n'a d'autre choix que de feindre, à grand renfort de communication et de familiarité confinant souvent au vulgaire, une image dévoyée de la proximité ?...