About the Book
« Le travail que M. Honoré Roux a entrepris et mené à bonne fin, en composant et publiant le Catalogue qu'il livre aujourd'hui au public, est une oeuvre qui a exigé, chez son auteur, une réunion de qualités qu'il est très rare de rencontrer chez les personnes qui, comme lui, semblent vouées, par la nature de leurs occupations journalières, à de pénibles travaux, lesquels n'ont rien d'intellectuel ou, s'ils demandent un peu d'intelligence, ne la mettent au service que de ce qu'il y a de plus matériel dans les opérations commerciales.
Faire connaître les obstacles que M. Roux a dû vaincre pour parvenir à son but, pourquoi il s'est proposé ce but et comment il y est parvenu, c'est ce que nous nous proposons d'exposer simplement dans cette courte préface. Le public nous saura gré et M. Roux nous pardonnera, si nous entrons dans quelques détails intimes nécessaires à notre thèse. Puissent, du reste, ces détails montrer un exemple encore trop peu suivi jusqu'à aujourd'hui; mais, nous avons tout lieu d'espérer qu'à l'avenir, les ouvriers, en vertu de l'éducation et des connaissances qu'on s'efforce actuellement de leur donner, chercheront leurs distractions et leurs délassements dans des occupations qui ne laissent pas de remords et n'altèrent pas la santé.
M. Roux appartient à cette célèbre corporation des Portefaix de Marseille, qui n'a jamais trahi son antique réputation de probité; mais, son éducation et surtout son instruction [a dû] nécessairement être incomplète; tout au plus fut-elle jugée suffisante pour les travaux auxquels on le destinait. Quelques notions de lecture, d'écriture et de calcul, c'est à peu près tout ce qui formait le bagage qu'il retira de l'école des Frères. Mais son goût naturel pour tout ce qui lui paraissait avoir du rapport avec l'intelligence lui fit suivre avec succès le cours gratuit de dessin professé alors par le sympathique M. Aubert. Les notions qu'il puisa dans ces leçons, il les appliqua à la représentation des objets vivants, parmi lesquels il distingua les oiseaux et surtout les lépidoptères. Bientôt, la représentation ne lui suffit pas, il voulut posséder les objets réels eux-mêmes. La fréquentation de quelques amateurs de papillons le mit à même de connaître les espèces de la localité. Il les recueillit, les prépara avec soin et en fit une collection dont il a conservé au moins une partie, remarquable par sa bonne tenue. Cette collection il la logea dans des boîtes qu'il construisit lui-même et qu'un habile ouvrier ne désavouerait pas. Mais il ne se livra pas seulement à la chasse; un travail de simple collectionneur était trop mécanique pour lui. Il étudia leurs moeurs et leurs métamorphoses. Il voulut connaître non-seulement les insectes parfaits, mais encore leurs larves, et, dans ce but, il éleva des chenilles. (Nous dirons, en passant, que la science lui est redevable de la connaissance de plusieurs chenilles.)
C'est ici qu'est l'origine de ses études botaniques. M. Roux ne se borna pas à cueillir les plantes sur lesquelles vivaient ses intéressants élèves. Ces plantes elles-mêmes excitaient sa curiosité et c'est alors qu'eut lieu une petite anecdote qu'il s'est plu lui-même à raconter plusieurs fois. Il alla trouver une personne qui avait quelque connaissance des plantes et se fit dire le nom d'un certain nombre de celles qu'il récoltait le plus souvent; puis, il voulut les reconnaître sur place, afin de ne pas s'exposer à les confondre. Il fit, avec la personne en question, sa première herborisation. Il n'avait qu'un tout petit calepin pour serrer ses récoltes, pensant que quelques brins étaient suffisants pour reconnaître les végétaux; mais lui-même trouva bientôt qu'il ne pouvait pas se contenter de ces échantillons incomplets. Les remarques qu'il fit à ce sujet parurent si judicieuses que, dès ce moment, on n'eut pas de peine à lui prédire que bientôt il échangerait son modeste calepin pour un plus vaste cartable.
En effet, dès lors, il consacra tous ses moments de loisir à l'étude des plantes, dans laquelle bientôt il passa maître. Il négligea un peu les objets de ses études antérieures, comme l'ornithologie et les différentes branches de l'entomologie, car il est peu de parties de l'histoire naturelle qui lui fût entièrement étrangère. Il lui répugnait, du reste, de faire souffrir et de tuer des êtres vivants et inoffensifs, comme il fallait le faire pour conserver leur dépouille. D'un autre côté, les procédés de certains entomologistes, dont il n'eut pas à se louer, comparés à l'urbanité, à la franchise et à l'abandon de la plupart des botanistes, telles furent les principales raisons qui fixèrent sa détermination en faveur de ceux-ci. (Ce n'est pas ici le lieu de parler de ses études et de ses découvertes en géologie, qui eurent lieu beaucoup plus tard, ni de ses essais remarquables en poésie.)
Parmi les botanistes, il se lia avec l'herboriste Marius Blaize, et tous deux fournirent à Grenier les éléments d'un Florule exotique des environs de Marseille.
C'est donc son éducation qui a été l'obstacle fondamental que M. Roux a eu à surmonter, et nous pouvons nous faire une idée, de la manière dont il est parvenu à la vaincre. De plus, il sentait la nécessité d'acquérir des livres et de se procurer des correspondants, car il ne se bornait pas à l'étude des plantes de son pays, il voulait les comparer à celles des contrées voisines et même éloignées, et constater, par ces comparaisons et l'exactitude des caractères, qu'elles étaient bien nommées. Il trouva, dans sa sobriété et dans sa stricte économie, qui ne fut jamais de l'avarice, les moyens d'avoir les uns, et son caractère loyal, franc et liant lui amena les autres.
En recherchant les auteurs qui avaient publié quelque chose sur la botanique de la Provence, M. Roux se convainquit bientôt que leurs livres ou bien étaient trop anciens et ne pouvaient pas satisfaire ceux qui se livrent aujourd'hui à l'étude de l'aimable science, tels que Gérard et Garidel, ou bien étaient trop incomplets et n'avaient traité la botanique que subsidiairement, comme Darluc, ou bien encore n'embrassaient qu'une localité restreinte, ou étaient devenus surannés, par suite des nouvelles découvertes, comme la botanique de la Statistique des Bouches-du-Rhône, et le Catalogue de Castagne. Son but était donc de remplir ce vide, au moins en faisant un catalogue aussi complet que possible, afin de servir de guide aux étudiants et aux explorateurs désireux de connaître la végétation de la Provence, et de leur fournir ainsi un répertoire qui, sous un volume restreint, les renseignât sur les richesses de ce pays et leur indiquât l'habitat de chaque espèce.
Un des motifs qui lui ont encore assigné ce but c'est qu'il avait affaire à la région botanique peut-être la plus intéressante de France, offrant sur un espace assez resserré les plantes alpines et subalpines dans sa partie montagneuse, jointe à la flore méridionale et maritime dans ses plaines et sur son littoral.
Voilà le but que M. Roux se proposait. Maintenant, comment a-t-il atteint ce but ? peu de mots vont suffire à l'exposer.
Sa passion pour la collection, qui lui a fait consacrer tous les jours de fêtes, tous ses moments de loisir à parcourir l'étendue de la Provence; ce qu'on peut appeler son flair pour reconnaître les plantes; sa mémoire la plus heureuse pour se rappeler les localités une fois parcourues; son caractère liant et facile qui lui a concilié l'amitié de tous les botanistes, notamment ceux qui habitent hors de Marseille, chez lesquels il a puisé toutes les informations utiles à son but; joignez à cela une intelligence capable de coordonner tous les renseignements qu'il avait amassés, voilà par quels moyens il est parvenu à parfaire son oeuvre. C'est le résultat d'une pratique continue et d'observations suivies pendant une trentaine d'années, qu'il livre avec confiance à l'appréciation de ses compatriotes.
M. Roux ne se fait cependant pas illusion sur le mérite de son travail: il sait que la perfection ne peut être l'attribut de tout ce qui sort des mains et de l'esprit de l'homme, et, à ce titre, il ne prétend pas avoir fait une oeuvre sans reproche; mais sa conscience lui assure qu'il a fait tous ses efforts pour la rendre moins imparfaite et il espère que, tenant compte de ces efforts, ses confrères en botanique voudront bien lui accorder un peu d'indulgence.
Alphonse Derbès,
Ancien professeur de botanique à la Faculté des sciences de Marseille, Conservateur du Muséum d'histoire, naturelle. »
Catalogue des plantes de Provence spontanées ou généralement cultivées, par Honoré Roux, ... avec une préface par M. le professeur A. Derbès. Texte
Date de l'édition originale: 1881-1891
Appartient à l'ensemble documentaire: PACA1
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